par Zoé Siemen
Le burlesque c’est avant tout une pratique axée vers l’attitude, très théâtralisée, voire comique et qui existe depuis le dix-neuvième siècle. Cette pratique a débuté à Paris dans les années 1880, au fameux Moulin Rouge et s’est étendue à Berlin à partir des années 1920 et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les cabarets à cette époque étaient des lieux de lâcher prise, où les clients venaient pour se divertir, boire, s’amuser surtout dans l’après-guerre mais aussi lors de la seconde lors de la politique totalitaire établie en Allemagne.
Derrière cet aspect de loisir, les cabarets ont permis une contre-culture à tout un système existant depuis le début de la création artistique scénique. En effet, les protagonistes, acteurs et actrices de la scène burlesque de cette époque, étaient les premiers artistes à proposer sur scène quelque chose de libre, qu’ils créent selon leur propres règles et improvisent, ce qui à l’époque n’était pas vu comme très noble sur scène.
Les artistes de cabaret pouvaient monter sur scène plusieurs fois par soir, pour jouer ce qu’on appelle « des numéros ». Cela pouvait être du chant, de la musique, du jeu et plus tard, venu des États-Unis dans les années 1950, de l’effeuillage. Les personnages qui composent les cabarets à l’époque sont des artistes souvent en marge et autodidactes, plutôt en désaccord avec la politique de leur pays. Ce sont des lieux où, malgré l’insalubrité, les problèmes d’argent ou les déboires avec la police, les artistes se retrouvent entre eux pour explorer certaines limites artistiques et créer une véritable communauté.
Parler de Valeska Gert s’autoproclame « sorcière » et bouleverse le Berlin des années 1920 avec ses danses radicales et politiques. Elle incarne sur scène des personnes ou des actes qui n’ont jamais été représentés, tel que la danse de la mort qui choquaient énormément les classes sociales élevées et bourgeoises.
Le rapport au corps est un sujet très présent dans toute l’histoire du cabaret. Le rapport au genre notamment. Dans ces espaces libres et ouverts, le travestissement était très courant (le travestissement étant une pratique qui consiste à porter les vêtements et autres accessoires qui sont, dans une société donnée, à une époque donnée généralement associés au genre opposé du sien dans le but de ressembler volontairement aux personnes du genre opposé).
En 1800, un décret fut rédigé pour réglementer le port du pantalon chez les femmes. Toutes femmes désireuses de se « travestir » devaient demander à la préfecture de police l’autorisation de porter un pantalon. Et il devait y avoir une raison médicale ou professionnelle pour le porter. Ce n’est qu’en 2013 que cette loi a été abolie, soit seulement un peu plus de dix ans.
Dans les années 1930, une femme qui portait un pantalon pouvait encore être arrêtée et ce n’est qu’en 1960 que cela à vraiment été démocratisé.
Quoi qu’il en soit, à l’époque des premier cabaret, une femme habillée en homme et un homme habillé en femme ou encore créer des personnages androgynes était très courant et pouvait faire tourner de l’œil du premier traditionaliste venu. D’ailleurs, de nombreux clubs sont régulièrement fermés sous la pression des gouvernements d'extrême droite.
Ce sont les prémisses donc de ce que l’on peut appeler aujourd’hui la gender fluidity, ou l’on passe d’un genre à un autre permettant de déconstruire les stéréotypes de genre et de montrer la fluidité des identités sexuelles.
Parallèlement à cela, on retrouve aussi le concept de l’hyperféminité, tout autant utilisé par les hommes que par les femmes. Il s’agit d’utiliser tous les marqueurs de féminité qui correspondent à une société et un temps donné, cela peut être aussi un clin d'œil à des époques révolues. À savoir que les années 1910 et 1920 sont très souvent reprises lors de ces spectacles.
Les femmes, elles, s'approprient ce dit concept lors de numéros présentés dans des cabarets au début des années 1940 et 1950. Naît alors le mouvement du néo-burlesque. Le cabaret néo-burlesque est une forme hybride, non conventionnelle avec des prises de risque et un jeu lié à la sexualité et aux corps. Cet art permet une réelle authenticité, la réalisation de soi et l’autonomie. Il ne s’agit pas simplement de se dévêtir mais aussi de porter un message, de créer une performance artistique, nécessitant des compétences solides de danseuse et où le costume est un art à part entière. Dans cet art de la nudité, le ridicule est une composante essentielle de cet art, et permet de dédramatiser la sexualité. C’est un acte politique, engagé, remettant en question les rapports aux structures de pouvoirs.
Aujourd’hui ces types de performances existent toujours et ont été réappropriés par la culture drag queen et très médiatisés à travers la série télévisée Drag Race, née aux États-Unis en 2009. Un moyen de créer qui ne se prend pas au sérieux, qui tient presque de l’irrévérence tout comme l'étaient les transformistes dans les années 1970.
Ces espaces performatifs posent des questions complexes de genre, de race, de classe et de sexualité sont explorées et subverties. Les performances burlesques intègrent des perspectives intersectionnelles. L'intersectionnalité, un concept introduit par Kimberlé Crenshaw, nous permet de comprendre comment ces différentes dimensions de l'identité humaine se croisent et s'influencent mutuellement. Les performances burlesques utilisent cette approche intersectionnelle pour créer des œuvres d'art qui remettent en question les structures de pouvoir oppressives.
On retrouve aussi dans ces performances une recherche de différence, c’est à dire que ce qui n’est pas politiquement correct, on va proposer sur scène tout ce qui n’est pas acceptable par les mœurs ancrées dans les sociétés et régi par des systèmes de jugement de valeur. Ce qui est bien, ce qui est moins bien. Mais sur ces scènes, la réalité est propre aux performeurs et performeuses.
Il faut aussi considérer quand dans beaucoup de pays, la première chose qu’on enlève lorsqu’il y a une guerre civile ou bien un système de répression politique, c’est bien l’art, on le voit bien en Iran où une loi interdit aux femmes de danser. Je pense qu’il faut toujours avoir en tête que l’art vivant fait peur, car il permet une extrême liberté.
New York est l'un des principaux centres d'attraction pour les arts néo-burlesques aujourd’hui. C’est une ville qui a toujours accueilli des artistes en quête de liberté d’expression, combattant les discriminations en tous genres. Ces luttes contre la haine de la différence ont ainsi créé des œuvres politiques, souvent transgressives, subversives. J’ai d’ailleurs évoqué Valeska Gert plus haut, qui a immigré aux États-Unis pour monter un cabaret lorsque le Berlin des années 1940 ne voulait plus d’elle.
J’ai eu la possibilité grâce à plusieurs longs séjours sur place de découvrir le milieu burlesque, notamment à Brooklyn où la pratique est ici politisée, ouverte aux personnes marginalisées, issues de l’immigration, invisibilisées ou oppressées. Dans ce quartier, l'art de la performance, le drag, le burlesque et le strip-tease ont une place à part. Certains spectacles néo-burlesques perturbent les scénarios traditionnels de la sexualité féminine en exigeant du public qu'il réfléchisse aux complexités du désir, de la sexualité et de l'identité, souvent dans une optique féministe.
Le néo-burlesque à Brooklyn est plus underground, et s'attache à transmettre des messages critiques à travers le spectacle, généralement en subvertissant d'une manière ou d'une autre le message typique de la sexualité féminine. Ici, le burlesque offre un espace où la sexualité peut être exprimée librement et sans jugement. On y retrouve une forte conscience politique parmi les personnes qui performent et un grand sens de l'entraide. Par exemple, des troupes comme le Sex Workers’ Art Show présentent des spectacles qui mettent en lumière les réalités économiques et sociales des travailleurs du sexe, critiquant les inégalités systémiques et prônant pour des droits et une reconnaissance accrue.
Les espaces queer sont assez populaires à New York, en particulier à Brooklyn, où on trouve beaucoup de refuges pour les personnes et les artistes queer et donc une grande communauté.
Mais aujourd’hui, les spectacles de drag font l'objet d'attaques incessantes aux États-Unis, qui ne cessent de s'aggraver à mesure que la situation politique et l'extrémisme se développent dans le pays. Certains États tentent d'interdire les spectacles drag et, bien que la ville de New York soit un État « libéral », beaucoup de haine s'y fait jour. Avec de plus en plus de libertés supprimées, les artistes drag se concentrent sur la création d'œuvres subversives pour lutter contre cela. Le burlesque et le drag étant très liés, cela représente une menace pour les artistes, sexuellement et identitairement positifs, ainsi que les communautés concernées.
Ces espaces sont essentiels pour la sécurité et l'expression libre des artistes, même si la violence et le harcèlement restent des problèmes significatifs.
En intégrant les expériences croisées de genre, de race, de classe et de sexualité, les performances burlesques deviennent des actes puissants de subversion et de résistance contre les structures de pouvoir oppressives.